Une agriculture au cœur de la ville, ou comment revenir à la terre selon Eisenia
Eisenia, l’association au doux nom du ver décomposeur a vu le jour en 2013, avec l’idée que chaque déchet, à condition qu’il soit trié à la source, peut être valorisé.
Ayant aux prémices de la création une velléité de promouvoir la démarche de compostage et tout particulièrement le lombricompostage, Eisenia propose aujourd’hui une palette de services alliant enjeux écologiques, sociaux et économiques.
Margot, jardinière et animatrice environnement, prend la parole et nous partage l’actualité de l’association et sa vision de l’agriculture.
Propos recueilli et rédigé par Caroline Baudassé, bénévole pour la MAULyon.
Peux-tu nous rappeler la mission d’Eisenia et ses projets variés ?
Au départ, la démarche d’Eisenia était concentrée sur la valorisation des biodéchets par le lombricompostage, mais petit à petit nous nous sommes naturellement intéressé(e)s à d’autres typologies de déchets tels que les encombrants, les équipements électroniques et les ordinateurs.
Nous portons par exemple le projet CREPI (Collectif de Réparation d’Encombrants en Pied d’Immeuble) avec les bailleurs sociaux. Dans plusieurs quartiers à Décines, Chassieu et Caluire-et-Cuire, nous avons ouvert des petites recycleries de quartier en pieds d’immeubles afin de trier, réparer et redonner gratuitement les encombrants (canapés, meubles, lave-linges, vaisselles…) que nous ramassons chaque semaine.
Nous avons également un projet de reconditionnement d’ordinateurs (Linux et Populus) que nous menons en partenariat avec l’association l’Atelier Soudé, afin de lutter contre l’obsolescence programmée, la fracture numérique et promouvoir les logiciels libres. Nous animons ainsi des repair cafés et des permanences à Décines et Villeurbanne où les habitant(e)s apprennent à réparer et à donner une seconde vie à bon nombre d’objets et d’équipements divers et variés.
Et en travaillant dans le lombricompostage, nous sommes évidemment proches de la terre et du monde paysan. Nous montons ainsi des jardins-potagers pédagogiques, notamment à Givors sur le quartier des Vernes, afin de promouvoir une agriculture saine, durable et de saison au travers d’animations de jardinage et bricolage.
C’est également notre association qui gère les biodéchets du marché de Givors, ce qui ne représente pas moins de 40 tonnes de biodéchets par an que nous traitons en andain (gros tas en plein air) en lombricompostage au sein des serres municipales de la ville. Chez Eisenia, nous sommes persuadé(e)s que les biodéchets doivent revenir à la terre afin de la fertiliser et l’amender, et ainsi dépendre le moins possible d’intrants (notamment chimiques).
Et ce n’est pas fini ! Un projet est en cours sur la culture de plantes tinctoriales dans le jardin des « Vernes de terre » à Givors, permettant de faire de la teinture textile et des encres, dans le cadre de nos activités avec les habitant(e)s du quartier.
Au final, de nombreux sujets et activités se rejoignent au sein de la démarche d’Eisenia. Notre slogan est « y’a pas de déchets, juste de la matière que des gens ont sans savoir quoi en faire, alors que d’autres la cherchent sans savoir où la trouver ».
Vous participez pour la première fois aux 48 heures de l’agriculture urbaine, fin mai. Pourquoi ? Qu’animerez-vous durant ce week-end ?
Ce festival est l’événement incontournable sur le sujet de l’agriculture urbaine qui se développe très fortement dans la région. C’est à la fois une bonne façon de sensibiliser les habitant(e)s sur les sujets que nous portons mais aussi d’échanger avec toutes les autres structures pour découvrir ce qui se passe à proximité dans notre ville.
Durant l’événement, nous aurons une équipe au Parc de la Tête d’Or et une autre à Givors, dans le quartier des Vernes. Vous pourrez retrouver plusieurs animations, afin de sensibiliser de manière ludique sur les enjeux de la terre, des biodéchets, du (lombri)compostage, les astuces pour connaître la qualité du sol, et bien d’autres sujets.
Nous organiserons des jeux : une pétan’compost, le juste ver, le test du cresson, et nous proposerons de visiter le jardin des Vernes de terre. Nous y associerons également un volet plus scientifique, en nous appuyant sur des études que nous avons menées avec l’ADEME dans le cadre du projet VALOR. Ses résultats mettent notamment en exergue les bénéfices du lombricompostage (qu’on appelle aussi vermicompostage) sur la fertilisation des sols, pour tendre vers une agriculture plus vertueuse et plus saine. Cette animation sera une excellente façon de comprendre aussi les différences entre lombricompostage, compostage collectif thermique, compostage industriel, digestat de méthanisation…
Que t’évoque l’agriculture urbaine, et comment pourrait-on la renforcer dans notre quotidien de citadin(e) citoyen(ne) ?
L’agriculture urbaine me rappelle les jardins ouvriers, par la volonté de tendre vers toujours plus d’autonomie. Troquer des graines, construire des cabanons et des serres en récup’, récolter l’eau de pluie, c’est l’économie de la low tech (basse technologie) et de la débrouillardise, qui révèle toute l’intelligence des gens qui savent faire beaucoup avec peu. C’est aussi l’imaginaire collectif fédérateur : les apéros sur les parcelles, les soupes collectives, les pique-niques… Les jardins potagers en général permettent de renforcer le lien social et de partager des moments suspendus au sein de la ville, où l’asphalte et la frénésie sont devenus maîtres des lieux.
Ainsi, parler d’agriculture en ville c’est aussi et surtout de la pédagogie pour sensibiliser des citadin(e)s qui sont finalement très éloigné(e)s du monde paysan et de ses enjeux. En ville, presque tout le monde travaille dans le tertiaire aujourd’hui. Réintroduire ces sujets-là dans l’espace urbain, redonner la place à l’agroécologie, au travail long et patient de la terre et à la biodiversité qui s’y déploie, me paraît essentiel.
« L’agriculture est un enjeu énorme qu’on doit remettre au cœur de nos vies. Notre souveraineté alimentaire, et donc notre survie, en dépend. »
J’espère vraiment que l’agriculture urbaine va se développer de plus en plus et dans une multiplicité de formes et d’espaces ; non pas pour faire joli, ou renforcer des intérêts de communication et des postures, mais bien pour sensibiliser sur le monde vivant et susciter la curiosité. Et cela démarre en mettant les mains dans la terre et en observant les petites bêtes du sol, en essayant de comprendre les organismes non-humains qui nous entourent et leurs interactions.
C’est pourquoi à Eisenia nous faisons beaucoup d’animations avec les adultes, les enfants et nous organisons des chantiers jeunes, des chantiers d’insertion, des formations et des projets de recherche notamment. Nous avons à cœur de transmettre nos savoirs et savoir-faire. En fait, on sème des graines et on espère qu’elles vont germer un jour !